1983 ― Quatuor Isochorde

1983
QUATUOR ISOCHORDE, en 2 parties 16’

  1. Nuit des Temps
  2. Palimpseste
présentation

Cet opus 1 va d’entrée de jeu au plus profond de ce qui ne cessera de nourrir tout mon imaginaire musical, mon esthétique et mon langage harmonique et formel.

La première des deux parties, Nuit des temps, est issue de l’urgence de faire venir au jour la ferveur ― totalement inhibée par la pression environnante à l’époque ― dont je brûlais pour l’harmonie comme raison d’être de tout mouvement sonore. Il faut préciser que dans ces années 80 du XXe siècle en Europe, et tout particulièrement en France de par la prise de pouvoir boulézienne, toute démarche non atonale (le spectralisme n’en offrait à mes yeux qu’un détour hédoniste et figé) était stigmatisée comme l’attachement maniaque à une langue morte.

Cela tombait bien, car une fois tombé l’oukase, je n’avais plus ― toute honte bue ― qu’à assumer ma dissidence, et approfondir dans mon travail musical ce que mes goûts de lecteur et d’esthète stimulaient dans mes recherches de dilettante : l’histoire des empires défunts, les liturgies somptueuses, l’humanisme mélancolique et grandiose des temps révolus découvert dans Yourcenar, Ghelderode, Suarès, Montherlant, Proust. Cette langue morte voué au rebut n’était pas moins que notre héritage et, me concernant plus particulièrement, l’héritage fauréen.

La seconde partie, Palimpseste, relève d’un défi formel délibéré, sorte de chaconne de 16 accords par-dessus lesquels repasse sans cesse en une nouvelle couche écrite la vague de l’invention, une et diverse, jusqu’aux limites du méconnaissable. On reconnaîtra dans l’auto-genèse des variations la stimulation due à mes études brahmsiennes d’alors.

Le projet d’un quatuor est pour tout jeune compositeur un rêve d’accomplissement impatient, mais il se doublait pour moi en ce temps-là d’une songerie semée par les remarques de Sergiu Celibidache à propos de la fortune immense de cette formation instrumentale depuis Haydn, dissymétrique, paradoxalement bâtie en dépit des modèles isophoniques de type vocal (soprano/alto/ténor/basse) : à la répartition égale des tessitures l’on substituait un dessus redondant (deux violons), dédoublant les rôles du 2nd violon (violon-alto), de l’alto (alto-ténor) et du violoncelle (ténor-basse). Remplacer dans une œuvre nouvelle le 2nd violon par un 1er alto pouvait, avec intérêt, constituer une autre base acoustique, étant entendu que la virtuosité atteinte de nos jours sur tous ces instruments transcendait et démultipliait leur éthos originel.

Qualifiée aimablement à l’époque devant sa classe, sans même l’avoir lue, de trio raté par un grand professeur de musique de chambre au Conservatoire de Paris (lui-même 1er violon d’un célèbre quatuor), l’œuvre est dédiée au violoncelliste et compositeur Pierre Noack, confident de ces années décisives, qui l’a créée chez lui à Berlin sous le titre de Quatuor à deux altos. Le titre définitif de Quatuor Isochorde (à cordes égales) est dû à la révélation par l’altiste Jacques Dupriez (professeur au Conservatoire Royal de Bruxelles) du violon baryton (8ve basse du violon) restitué par le luthier André Sakellaridès. Sous cette forme, le projet originaire du Quatuor Isochorde a finalement atteint son but.