1986-1988 ― Trois Chants Funèbres Anonymes Sardes

1986-1988
TROIS CHANTS FUNÈBRES ANONYMES SARDES 22’
pour soprano et piano (en langue sarde)

  1. Una mirata sola (une mère pour sa fillette)
  2. Unu raju ‘e luche (une veuve pour son fils unique)
  3. Ite mala fortuna (une jeune épouse pour son mari)
présentation

Ce cycle de mélodies garde la trace d’un de mes tout premiers projets de composition, à la suite d’un voyage familial en Sardaigne à l’été 1972, dont je rapportai un recueil de contes et de poésie populaires recueillis et traduits en italien par Raimondo Calvisi : Nuovi Racconti e Canti popolari del Nuorese (Editrice Sarda Fossataro, Cagliari ― 1969).

La tradition des chants funèbres rimés, improvisés lors des réunions précédant les obsèques, survit dans plusieurs régions de la Méditerranée, en particulier en Corse : les voceri, et en Sardaigne : les attitos. Ce sont les textes – non l’empreinte musicale, que je n’ai pas désiré subir ― qui m’ont bouleversé, par l’émotion qui les fait jaillir autant que par la rigueur formelle qui les bride. Il en est ressorti au terme de plusieurs années d’introspection adolescente une musique au substrat populaire purement imaginé, dans un moule formel le plus tenu possible, entre exubérance et dépouillement.



I ― Una mirata sola (la mamma per una bambina)
Una mirata sola
chene nos faeddare,
Dormita s’ès Mallena.

Restata sò in pena,
e prima de t’ind’andare
tue no mi consolas.

Proite, dura morte
Non lassas sa minore
e afferres sa mama ?

Ghenese, mala jana,
non conosches amore,
seminas mala sorte.

Un regard, seul,
sans rien nous dire,
et tu t’es endormie, Mallena.

Je suis restée avec ma peine
et, avant que tu ne partes,
pas un mot pour me consoler.

O Mort sans pitié,
que ne laisses-tu la petite
et emportes la maman ?

Odieuse mégère, mauvaise fée,
tu ne connais pas l’amour,
tu ne sèmes que le malheur.

II ― Unu raju ‘e luche (una madre per il suo unico figlio)
Unu raju ‘e luche
intrat i su balcone
e poi si ritirat,
lassat su locu uscuru.

M’abbrazzo custa ruche,
chin tres craos mi pone
ca’ sa sorte mi tirat
su corfu troppu duru.

Mai mi lu credia
de mi lassares como
cando aia disizzu
de aiutu e amore.

Un rayon de lumière
entre par le balcon,
et puis, il se retire,
laissant la pièce dans l’obscurité.

J’étreins ma croix !
qu’on m’y pende avec trois clous
car le destin m’a frappée
d’un coup trop dur.

Jamais je n’aurais cru
que tu me laisserais, maintenant,
avec un tel désir
de soutien et d’amour.

III ― Ite mala fortuna (la moglie per il marito morto)
Ite mala fortuna
sa morte tottu induna !
Zessu ite mala sorte,
tottu induna sa morte.

Ite dispiaghere !
Sa domo ès chene mere ;
comente facco como,
chene mere ès sa domo.

Un’ iscurosa nue
ca mancadu sès tue,
su chelu at attristadu
ca tue sès mancadu.

Mi lassas in piantu
frore de amarantu,
in penas e dolore
d’amarantu frore.

Mi lassas in fastizzu
bellu doradu lizzu,
cum su coro frecciadu
bellu lizzu doradu.

Ite mala tempesta,
s’ammentu a mie restat ;
ite duru tormentu,
a mie restat s’ammentu.

Su fruttu de s’olia
in terra lu idia
pustis e tanta gherra
lu idia ‘i sa terra.

Su pinnone galanu
ruttu dae manzanu ;
d’arbore bellu fruttu,
dae manzanu ruttu.

Cussu bellu gappotto
pintadu ti l’at Giotto
e cussu soloppadu
Giotto ti l’at pintadu.

Su Signore t’at fattu
de anghelu ritrattu,
bellu fiore e chelu,
ritrattu de anghelu.

Si no mi paret gioccu
toccande son su toccu,
si no so isbagliande
su toccu son toccande.

Bennidu est su rettore,
prus de chentu signores
pro s’accumpagnamentu
signores prus de chentu.

Prite mi lassas sola ?
restas e mi consola !
De domo ghia e festa,
mi consola e resta.

Perla de Oriente,
mi restas in sa mente
prenda mea de oro,
mi restas in su coro.

Quelle infortune
que la mort qui frappe !
Dieu quel malheur,
d’un seul coup, la mort.

Quelle détresse !
Le foyer n’a plus de maître ;
que vais-je devenir à présent
que le maître a quitté le foyer.

D’une sombre nuée,
disparu que tu es,
le ciel s’est attristé
parce que tu es disparu.

Tu me laisses en pleurs,
fleur d’amarante,
dans les peines et la douleur
de l’amarante, toi, la fleur.

Tu me laisses accablée,
beau lys doré
avec le cœur transpercé,
beau lys d’or.

Quelle affreuse tempête,
le souvenir au moins me reste ;
Dieu quel tourment atroce,
je n’ai plus que le souvenir.

Le fruit de l’olivier
à terre je l’ai vu,
après tant de luttes
je l’ai vu terrassé.

Le gracieux étendard
abattu au matin ;
le beau fruit de l’arbre,
dès le matin, tombé.

Ce beau manteau
t’a été peint par Giotto,
et ce gilet-là
c’est Giotto qui te l’a peint.

Le Seigneur t’a façonné
tel un ange, tout pareil,
belle fleur du ciel,
image d’ange.

Si je ne rêve pas
on sonne le glas ;
si je ne me trompe
c’est le glas que l’on sonne.

Il est venu, avec le curé,
plus de cent messieurs
pour le cortège
des messieurs, plus de cent.

Pourquoi me laisses-tu toute seule ?
Reste me consoler !
O guide et joie de la maison
console-moi, et reste.

Perle de l’Orient,
tu demeures en mon esprit
o ma richesse,
tu demeures en mon cœur.

traduction de l’italien : J.-D. Krynen