1993 ― La Noche Oscura

1993
LA NOCHE OSCURA (poème de la Nuit Obscure) de Saint Jean de la Croix 12’
pour baryton, chœur d’hommes et orgue (en langue espagnole)

présentation

Nuit obscure du sens, où l’âme s’échappe pour rejoindre l’Aimé à la dérobée, en dépit des ténèbres universelles. Cette invocation du lien mystique entre la créature et son Créateur a produit l’un des plus grands poèmes de la littérature espagnole comme de toute la littérature mystique. Le souffle monacal des voix d’hommes allié à la sonorité, tantôt sourde tantôt radieuse, de l’orgue tente de rendre justice à l’extraordinaire fluidité du texte et à la quintessence du désir qu’il exprime. L’effectif est celui de la Messe Cum Jubilo de Duruflé.

Partition

Saint Jean de la Croix : LA NOCHE OSCURA
En una noche oscura,
con ansias, en amores inflamada,
¡Oh dichosa ventura!
salí sin ser notada
estando ya mi casa sosegada.

A oscuras y segura,
por la secreta escala, disfrazada,
¡Oh dichosa ventura!,
a oscuras y en celada,
estando ya mi casa sosegada.

En la noche dichosa,
en secreto, que nadie me veía,
ni yo miraba cosa,
sin otra luz y guía
sino la que en el corazón ardía.

Aquesta me guiaba
más cierto que la luz del mediodía,
adonde me esperaba
quien yo bien me sabía,
en parte donde nadie parecía.

¡Oh noche que guiaste!
¡Oh noche amable más que el alborada!
¡Oh noche que juntaste
Amado con amada,
amada en el Amado transformada!

En mi pecho florido,
que entero para él solo se guardaba,
allí quedo dormido,
y yo le regalaba,
y el ventalle de cedros aire daba.

El aire de la almena,
cuando yo sus cabellos esparcía,
con su mano serena
en mi cuello hería
y todos mis sentidos suspendía.

Quedéme y olvidéme,
el rostro recliné sobre el Amado,
cesó todo y dejéme,
dejando mi cuidado
entre las azucenas olvidado.

Par une nuit obscure
Brûlée d’un amour plein d’angoisse
Oh l’heureuse fortune !
Je sortis sans être vue
Quand chez moi tout en paix reposait.

En pleine nuit, sans crainte,
déguisée, par l’échelle secrète,
Oh l’heureuse fortune !
En pleine nuit, en cachette,
Quand chez moi tout en paix reposait.

Dans la bienheureuse nuit,
En secret, car nul ne me voyait,
Ni moi ne regardais personne,
Sans guide ni lumière
Hormis celle qui dans mon coeur brillait.

C’est elle qui me menait
Plus sûrement que le soleil en plein midi
Jusqu’aux lieux où m’attendait
Celui que je connaissais bien
Là où nul ne paraissait.

Ô nuit ! toi qui m’as guidée !
Ô nuit ! plus que l’aurore aimable !
Ô nuit ! toi qui as réuni
Le Bien-Aimé et celle qu’Il aime,
L’aimée en l’Aimé transformée !

Sur mon cœur fleuri
Qui pour Lui seul tout entier s’est gardé
Il s’est endormi
Et moi je le caressais
Dans la brise de l’éventail des cèdres.

La brise du créneau
Quand je caressais sa chevelure,
D’une main sereine
Me frappant à la nuque
Suspendait tous mes sens.

Alors, je demeurai et m’oubliai.
Sur l’Aimé j’inclinai mon visage.
Tout cessa. De vue je me perdis.
J’abandonnai mon souci,
Oublié, parmi les lis.

traduction : Jean Krynen